Vivre et découvrir Barfleur dans le Cotentin
Les connaisseurs prennent Barfleur par la mer, pour le plaisir d’embrasser le port en arrivant. On ne se lasse pas de guetter sur la droite, au-dessus du parapet, l’aréopage de barques blanches et bleues dansant sur les flots ou échouées dans la vase, au gré des marées, non loin des maisons de pêcheurs bien rangées derrière leur église. À première vue, rien de bien spectaculaire, au point qu’on se demanderait presque pourquoi ce petit bourg figure au classement des plus beaux villages de France. Sur le quai pavoise un bar à moules-frites vintage, et l’on aperçoit au bout de la rue principale un colossal et regrettable château d’eau. Par temps maussade, le gris du ciel joue avec le granit des bâtisses un ton sur ton plutôt bourru. Mais l’âme normande se conquiert, et Barfleur ne fait pas exception à la règle.
On choisira le bon moment pour y faire son entrée, le matin de préférence, quand les caisses de homards et d’araignées débarquent sur le quai, entre les voiliers et les chalutiers assoupis. On contemple cette joyeuse agitation depuis le café Le Goéland, devant un petit noir tout en prenant le pouls local, au coude-à-coude avec les marins. Les mardis et samedis, jours de marché, il flotte comme un air de fête qui pousse à flâner plus loin, en direction du large. On passe devant l’église Saint-Nicolas, arrondie autour de sa fameuse nef octogonale, qui campe telle une vigie face au phare. Elle se souvient de l’époque où les navires y chargeaient les bonnottes, les précieuses pommes de terre nouvelles qui faisaient route vers l’Espagne et l’Italie. La rue finit là, tandis que le bout de la péninsule reste invisible aux regards derrière les murs du fort. Aucun vestige Vauban ne campe ici, mais un manoir gris, propriété privée placée entre l’horizon et un grand jardin clos de palmiers qu’on rêverait de visiter. Le portail grand ouvert permet de se consoler en notant la beauté des corniches et du faîtage de dentelles vernissées qui, tantôt bleues ou vertes, décorent aussi presque toutes les maisons du village.
C’est ici que se découvre l’unique plage, petite mais de sable, ourlée de rochers plats qui descendent vers la Manche. Le soleil qui troue le ciel tourmenté colore les flots d’un bleu des mers du Sud qui invite à poser sa serviette. On ne se baigne qu’avec précaution, dans ces eaux proches du raz où sombrèrent de nombreux navires. Une plaque apposée rappelle que les Vikings, au IXe siècle, descendirent de Norvège et du Danemark pour poser les premières pierres du village. C’est ici que fut construit le Mora, navire à bord duquel Guillaume le Bâtard navigua pour aller conquérir son royaume anglais. Est-ce le fait d’apprendre ce prestigieux passé, ou le franc soleil qui révèle la skyline parfaite de tuiles grises ? Soudain, le bourg gagne en majesté, d’autant qu’on a pris soin d’arpenter la rue Saint-Nicolas. C’est l’ancienne demeure du peintre Paul Signac qui ouvre le bal, avant la parade des deux rangées de maisons charmantes dévoilant ici une effusion d’hortensias, là un encorbellement de roses, jusqu’à l’échancrure finale du port. Et il reste encore à l’admirer depuis la côte, à travers les champs de joncs reliant le phare de Gatteville, et depuis les criques blanches qui défilent jusqu’à Réville. Alors, oui, sans aucun doute possible, Barfleur est le plus beau village de Normandie.
Dormir à La Villa Gervaiserie, hôtel de grand charme face à la plage de Jonville (8 km de Barfleur). À partir de 160 € la nuit. Déjeuner à la Bohème, la nouvelle adresse sur le port qui sert huîtres, bulots et crêpes dans un décor marin épuré. 20-30 €. 1, rue Saint-Thomas-Becket. 02 14 14 43 18. Chiner à la galerie Saint-Thomas, pour trouver des merveilles baroques à partir de 5 €. 39, rue Saint-Thomas-Becket. Tél. : 02 33 43 50 98.
Source: lepoint.fr/voyages/